lundi 18 avril 2011

ethique de la soumission: il faut sauver Tony Chapron

Au centre de la cible, Tony Chapron, arbitre international de football, comme l'atteste le badge FIFA qu'il arbore sur la poitrine.

Photo Hugies Lawson Body / L’Equipe extraite de L'Equipe Magazine, n°1401, 23 mai 2009
Pour quelle raison est-il pris à parti, tantôt par les dirigeants de clubs, tantôt par les journalistes et, pourquoi est-il puni, aujourd'hui, par les autorités du football?
Il semblerait que ce ne soient pas les compétences de Tony Chapron qui soient en causes mais sa personnalité.
Ou, plus précisément, sa qualité: Chapron est un humain. Pas une machine.
Quand il arbitre, il exerce un jugement. Quand il n'arbitre pas, il est aussi en mesure d'exercer un jugement.
Il semblerait précisément que c'est cette capacité à juger, donc à interpréter une réalité en tenant compte à la fois de la loi (la règle) et d'une éthique (l'esprit) qui dérange.
Au moment où la machinisation du social et la robotisation de la surveillance dessinent les contours d'un monde aussi performant qu'inhumain, le cas Chapron est un cas d'école, un analyseur du pouvoir sportif, mais, au-delà, l'analyseur d'un modèle de société, basé d'un côté sur l'infaillibilité du contrôle et de la répression et de l'autre sur la conformité intellectuelle et la soumission aux autorités.


Pour le comprendre, revenons aux événements récents:

Tony Chapron a été suspendu de ses fonctions d'arbitre deux journées de suite.
• 5 mars 2011: La première journée, il était dans le même bateau que ses collègues qui avaient décidé – à l'appel du Syndicat des Arbitres de Football d'Elite (SAFE) – d'une action symbolique visant à dénoncer l'absence de respect à leur égard. En prévoyant, , de retarder le début des matches de la 26è journée de ligue 1 d'un quart d'heure, il s'agissait alors pour les arbitres professionnels de rendre public le sentiment de mépris qu'ils ressentaient, en provenance des acteurs (joueurs, entraîneurs, dirigeants) comme des spectateurs du football.
Alors qu'ils sont là pour garantir le bon déroulement du jeu, et que, sans eux, les matches ne pourraient plus se dérouler, ils avaient décidé d'une action symbolique pour attirer l'attention sur le manque de respect dont ils sont l'objet.
Interviewé à la suite de cette sanction collective, Tony Chapron a tenu les propos suivants:

«Il y a au sein du syndicat une unité autour du sentiment d'écoeurement après ce qu'on a subi ce week-end de la part de tout le monde. La Fédération a réagi à une attaque au pistolet à eau par une frappe nucléaire. Chantal Jouanno [la ministre des sports] semble avoir à coeur de trouver une solution et de décanter la situation. Mais ce n'est pas la première fois qu'elle doit intervenir et cela met en lumière l'incompétence de la fédération dans le domaine de l'arbitrage et dans d'autres. Il y a des gens qui ne sont pas à la hauteur

• 12 mars 2011: Pour avoir prononcé ces mots, il a été une nouvelle fois sanctionné, suspendu d'arbitrage pour la rencontre Rennes-Marseille, pour laquelle il avait été désigné. Cette fois-ci, il a été sanctionné seul, pour s'être exprimé au nom du syndicat des arbitres dont il est le secrétaire. Cette décision de la Fédération Française de Football rappelait une première fois que l'éthique du sport est bien celle de la soumission.

• lundi 18 avril 2011, Tony Chapron a été suspendu trois mois avec sursis par le Conseil National d'Ethique de la Fédération Française de Football pour les propos qu'il a tenus.

Cet enchaînement de trois sanctions révèle comment le système du football, faute de pouvoir se réformer ou tout simplement incapable de s'interroger sur ses propres insuffisances, préfère mettre l'un des siens au pilori, et le livrer au lynchage populaire.

Cette décision soulève quelques questions de fonds qui vont bien au-delà de la polémique journalistique et des discussions du bar des sports.

Il en est une, notamment, qui mérite d'être discutée:
Au nom de quelle éthique Tony Chapron a-t-il été condamné?

Mais d'abord, qui est-il?
Tony Chapron est un arbitre international. Mais il est un arbitre atypique, titulaire d'un diplôme d'étude approfondies (DEA), équivalent à ce que l'on appelle désormais un master, c'est-à-dire à la poursuite d'études au niveau bac +5. Il a par ailleurs publié plusieurs articles d'analyse sur les fonctions sociales de l'arbitrage dans des revues ou des ouvrages de niveau universitaire.
Il est par exemple possible de lire de Tony Chapron:
"Le sport, un monde fantasmé face aux réalités", dans l'ouvrage collectif dirigé par Michaël Attali, Le sport et ses valeurs (Paris, La dispute, 2004, p. 67-116)
ou encore,
"L'arbitre et ses fonctions éthiques" publié dans la revue canadienne Ethique publique, vol7, n°2 dans le numéro spécial intitulé "L'éthique du sport en débat" (2005)
Tony Chapron ne fait donc pas que tenir le sifflet. Ses écrits sont reconnus dans le champ universitaire de l'éthique et du sport, comme en atteste la référence qu'y fait denis Müller, de l'Université de Lausanne, dans son article de la revue Etudes, "le football comme miroir".

Quand il s'exprime sur l'arbitrage, ça n'est donc pas seulement du point de vue d'une émotion ou d'un point de vue personnel. Ou plutôt, son point de vue est nourrit à la fois:
• par une pratique d'arbitrage au niveau international
• par une analyse théorique sur l'arbitrage reconnue dans le domaine de la recherche qui intègre une vision historique à un regard sociologique
• par un engagement syndical dans le cadre du syndicat des arbitres

Or, il semblerait que Tony Chapron n'ait pas été condamné pour des propos injurieux, comme parfois le CNE a pu le faire, mais bien pour insoumission.
Or, l'éthique sportive est une éthique de la soumission (ce que j'ai développé par ailleurs). Et la décision du CNE vient d'apporter la preuve qu'on ne s'en affranchit pas impunément.
Tony Chapron porte également, comme passif, sa réflexion sur l'arbitrage lui-même et sur son implication, en tant qu'arbitre, dans cette forme singulière de jugement qu'est l'arbitrage, jugement par lequel il lui faut à la fois défendre une éthique (l'esprit du jeu) et faire respecter l'application de la règle.

Humain doté d'une capacité de jugement, Chapron se différencie du radar automatisé qui enregistre machinalement et froidement une infraction au code de la route. Même dans les polémiques qui lui reprochent de manquer de discernement, il a appliqué un règlement non pas bêtement, mais pour défendre une forme de respect du jeu et une éthique de l'engagement des joueurs.

Humain doué d'un esprit critique, Chapron se permet aussi de ne pas se soumettre pour défendre ce qui lui semble juste. Malgré l'exposition médiatique.

Humain doté de parole, il se permet de répondre aux questions qui lui sont posées lors de cette exposition médiatique.

Contrairement à un radar, il possède donc un point de vue.
Contrairement à une caméra de vidéosurveillance, il est capable de juger les conditions dans lesquelles il est amené à exercer sa mission.

Or, ce qui est remarquable dans la décision du Conseil National d'Ethique, c'est qu'il prononce une sanction contre une action et des propos qui ont été tenus dans le but de défendre l'éthique sportive et les valeurs de respect qu'elle est censée contenir. C'est pour cela que Tony Chapron a mené, avec ses collègues, une action collective visant une prise de conscience. C'est au nom de cette action que le pouvoir fédéral a frappé une première fois. C'est en réaction à cette première sanction que Tony Chapron s'est prononcé. Et c'est en raison de sa réaction qu'il a été puni. Deux fois.

L'éthique sportive de la soumission n'est donc pas seulement celle de la soumission au règlement. Elle est aussi une éthique de la soumission au pouvoir institué, ce pouvoir qui est occupé par des acteurs qui brillent surtout par leurs compétences à le conquérir. Cette éthique de la soumission valorise donc ceux qui se taisent au dépend de ceux qui, constatant un problème, le formulent voire cherchent à le résoudre.

C'est une forme d'éthique d'un autre âge.
C'est la raison pour laquelle il faut  sauver Tony Chapron comme il a fallu sauver les sorcières des bûchers de l'Inquisistion.

pour prolonger la discussion, voir de Jérôme Latta, "La Raclure et les racleurs".


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5 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je découvre votre blog. Vous semblez préoccupé à juste titre du respect des libertés et des droits des citoyens. Mais votre blog porte un titre anglo-saxon (le génitif saxon en 's après le nom propre). C'est contradictoire. Vous contribuez à détruire votre culture, c'est votre affaire. Mais c'est aussi la mienne, et ma liberté, que de voir ma langue être respectée : en cautionnant des slogans publicitaires, des tours globish, une réduction à la culture dominante, vous participez à l'appauvrissement culturel du monde. Pour vous c'est un jeu de mots. Bientôt ce sera la façon normalisée d'exprimer la possession en français. Vous avez au moins un point commun avec Renault. Voyez le résultat. Après cela, que m'importe le tort fait à la liberté d'expression à propos d'un arbitre, puisque vous participez vous même à la dégradation de nos droits.

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  2. Merci Brittanny pour votre commentaire dont j'apprécie l'humour.

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  3. Je vois... C'est "brittanny" qui vous surprend, vous y voyez une contradiction. Vous avez peine à concevoir que des étrangers puissent prendre la défense de la culture française que vous brutalisez. Il ne vous vient pas non plus à l'esprit que des gens peuvent avoir des parents ou des grands-parents d'origine différente, ce qui peut se traduire dans l'onomastique. Vous vous bornez à l'esprit, l'ironie, comme au XVIIIème siècle. Vous êtes un bon exemple de cette conformité intellectuelle que vous critiquez.

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  4. Tiens, vous n'avez plus d'humour.

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  5. Chère ou cher Brittany (vous avez raison, l'anglais a ses limites notamment dans l'identification du sexe la personne à qui l'on s'adresse, tout comme l'anonymat d'ailleurs)
    que vous vaut cette agressivité?

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