lundi 4 avril 2011

la femme et le territoire: réflexions autour d'un lynchage

Le lynchage est une pratique consistant à tuer collectivement et sans procès une personne ou, à défaut, à la soumettre à de graves violences. Le lynchage des Noirs aux Etats-Unis, notamment sous l'action du Ku-Klux-Klan est tristement célèbre. Cette pratique pouvait se tourner vers d'autres victimes, comme les homosexuels par exemple ou les criminels... (voir de Joël Michel, Le lynchage aux Etats-Unis, La Table ronde)
Regarder les Etats-Unis et sa culture du lynchage à l'égard de l'Autre, c'est pourtant se mettre à distance de notre propre fonctionnement, le fonctionnement humain et sa potentialité criminelle. En dehors des conflits armés (qui peuvent bien évidemment posséder leur lot de passages à tabac et d'exécutions sommaires), le lynchage constitue en effet une manifestation collective, parfois spontanée, qui possède une caractéristique abominable: la certitude qu'a le groupe qui le commet d'être dans son bon droit. Ainsi en est-il de pratiques en apparence si diverses que le fait de pendre un Noir au Texas, de raser une femme soupçonnée d'avoir couché avec les Allemands durant l'Occupation, d'en violer une autre parce qu'elle est bosniaque et musulmane,  d'en lapider une, soupçonnée d'avoir eu une relation extra-conjugale, de torturer un homosexuel dans un parc de Paris, de massacrer un supporter de l'équipe adverse, d'immoler un voleur ou de passer à tabac une personne appartenant à une bande adverse...

"Le lynchage de Noisy-le-Sec" rappelle que ces pratiques ne sont pas des pratiques d'un autre âge et qu'elles surgissent dès lors que la haine sert de ciment à l'identité d'un groupe. Au moment d'ailleurs où ce jeune homme était passé à tabac, l'arbitre d'un match de football échappait de justesse au lynchage au Caire. Dans tous les cas en effet, le lynchage est un crime de groupe, voire un crime qui signe, pour ses auteurs, l'appartenance au groupe.

Depuis l'agression dont a été victime un jeune homme de Sartrouville pris dans un guet-apen à la gare RER de Noisy-le-Sec, c'et la rivalité "entre bandes" pour des raisons de territoire qui est mise en avant. Rivalité entre cités titre par exemple Libération. Sur RMC, les représentants des syndicats de police considèrent que "tout est bon pour en venir à la violence" et que le territoire fonctionne comme un système d'appropriation de l'ensemble des biens qui s'y trouvent.
La question de l'appartenance au groupe paraît en effet totalement dépendre de cette question de territoire qu'il s'agirait d'ailleurs surtout de protéger des intrusions ou des agressions extérieures ("Entendez-vous dans nos campagnes", etc.)
Ce que révèle l'agression du RER de Noisy-le-Sec, c'est que la circulation des Femmes est en outre inscrite dans la circulation des biens. Si un Noir pouvait être lynché aux Etats-Unis pour avoir touché à une femme blanche, il semblerait que l'agression de Noisy suive la même logique: la victime aurait eu une aventure avec une jeune femme vivant sur le territoire de ses agresseurs. Or, la circulation des Femmes est règlementée (voir par exemple de Robert Jeulin, La Circulation des Femmes et des biens chez les Maras). Les règles de la parenté, les tabous liés à l'inceste, les codes sociaux de la sexualité... tout cela contribue à contrôler cette circulation.
Dans cette histoire, les hommes qui ont pris part au lynchage (dont il semble qu'ils seraient mineurs pour la plupart) ont appris que d'une certaine manière les femmes leur appartenait. Il ne s'agit pas seulement d'une question de territoire, mais aussi d'une question de pouvoir : de celui que les hommes exercent sur la libre circulation des femmes, de la libre disposition de leur corps et de la libre expression de leurs sentiments.
La question que je me pose aujourd'hui est celle de savoir comment ces choses-là s'apprennent-elles encore, en 2011. De quelles angoisses identitaires sont-elles porteuses pour en arriver à une telle expression de la haine.
Comment en 2011, a 14-15 ans est-il encore possible de constituer son identité sur la nécessité du contrôle et du territoire et des Femmes qui y vivent?
Au-delà, comment participer à une construction identitaire qui s'affranchisse de ces rassurantes appartenances et de ces faciles dominations?

complément du 5 avril 2011:
D'une certaine manière, je suis tombé dans le panneau que dénoncent Marwan Mohammed et Laurent Mucchielli dans "le fait divers et l'incendie médiatique", en réagissant rapidement sur le peu d'informations disponibles dans la presse.
Je partage pourtant leur demande de prudence en ce qui concerne les commentaires à apporter sur un fait précis.
Néanmoins, je maintiens mes questions sur ce qui fait que la violence (notamment collective) participe à la construction identitaire de certains jeunes garçons,
sur le fait également que l'appartenance à un territoire semble devenir un signe d'identité qui, certes, ne se lit pas sur les visages mais nourrit les émotions
sur le pouvoir, enfin, que certains groupes d'hommes exercent sur les femmes de leur entourage proche dont ils contrôlent la circulation autant qu'ils les excluent de l'espace public qu'ils s'approprient (voir l'enquête du CNRS: Loisirs des jeunes, l'hégémonie des garçons).

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