samedi 13 septembre 2014

Body Suspensions : Le corps éprouvé


Photo Anna Pizzolante
Suspensions : Le corps à l’épreuve.
Réflexions sur la genèse d’une pratique corporelle contemporaine
Philippe Liotard, Université Lyon 1
Lukas Zpira by Denis Rideau
ébauche d'article (ce qui suit est une ébauche d'article sur la fonction de la douleur – réelle ou imaginée – dans la mise à l'épreuve du corps, notamment dans les pratiques de suspension corporelle utilisant des crochets placés sous la peuau. Je mettrai en lien la version définitive de l'article lorsqu'il sera publié)
Prologue
Septembre 2007, Saint-Romain au Mont d’Or.
La scène se situe dans un bunker métallique au sein de la Demeure du Chaos, près de Lyon. Deux performeurs s’affrontent sur un ring de boxe long et étroit. Il s’agit de Lukas Zpira et de xEddyx, deux body-artistes explorant les modifications corporelles. Le torse nu, ils portent comme tenue de scène leurs tatouages, leurs piercings et leurs implants. En arrière-plan, Satomi Zpira fait office d’arbitre-prêtresse.
Une jeune femme m’accompagne au spectacle.
Sur le ring, les combattants se préparent.
xEddyx enfile des gants chirurgicaux en latex stérile. Il place à hauteur des omoplates deux crochets sous la peau de Lukas Zpira, agenouillé. Il est à son tour équipé de la même manière pour la suspension. Les crochets sont ensuite reliés à une corde, de type corde d’escalade que chacun d’eux saisit. xEddyx et Lukas Z. se hissent alors à la force des bras. Progressivement, tirant sur la corde fixée aux crochets ils s’élèvent. La masse de leur corps étire la peau du haut du dos où passent les crochets.
Lukas Zpira & xEddyx, Demeure du Chaos, 2007
Une fois suspendus, Lukas Z. et xEddyx se livrent à un simulacre de combat. Deux gladiateurs aériens s’opposent. La rencontre des corps suspendus est rythmée par Satomi Zpira qui scande le contact des corps flottants en frappant sur les parois métalliques du bunker. Le public a le regard levé vers ce combat de mutants post-apocalyptiques dans une arène mad-maxienne. Les deux corps ornés à la peau étirée préfigurent de nouvelles pratiques clandestines d’affrontement à la Fightclub ou encore un sport nouveau qui se codifierait au cours du XXIè siècle pour générer un spectacle économiquement rentable, à l’instar des Mixed Martial Arts (MMA).
Je prends la jeune femme dans mes bras pour l’apaiser. Elle n’a pas aimé le spectacle de ces corps suspendus à la peau étirée par des crochets. Je la comprends. Sensibilisé à ces pratiques depuis plusieurs années, je n’ai pas été suffisamment attentif à leur réception auprès d’une personne qui les découvre. Familiarisé à ce spectacle par mes recherches antérieures (notamment celles que j'ai menées pour éditer "Modifications corporelles" avec la revue Quasimodo), j’ai oublié que les suspensions peuvent être perçue violemment, générer de l’incompréhension, du rejet voire du dégout. En tout cas, du malaise.
Les crochets passés dans la peau sont au centre de ce qui  les rend souhaitables ou critiquables, appréciables ou désagréables. Apprécier la performance de Lukas Z. et xEddyx suppose une forme d’initiation et implique une proximité minimale avec la culture de l’underground qui soumet les corps à de nouvelles épreuves. Leur performance était impensable dix ans plus tôt, même si les pratiques de suspension étaient, elles, déjà ré-explorées notamment en Amérique du Nord, avant de se diffuser en Europe à l’aube de l’an 2000. 
Georges, Tribe Hole, Genève
Plusieurs questions s’enchaînent. Comment est-il possible que des individus sains d’esprit se livrent à des pratiques venues d’un autre âge et d’un autre espace? Comment ces pratiques sont-elles perçues et qu’est-ce qui trace la ligne de démarcation entre les personnes qu’elles rebutent et celles pour qui elles deviennent désirables? Que dit cet usage des crochets sur notre perception du monde? Que disent ces pratiques sur l'expérience humaine?
Suspensions occidentales. Genèse
Re/Search Modern Primitives
Obsolete Body Suspensions
Stelarc
note 1 : dans les années 1980, deux publications initient les Occidentaux aux pratiques de suspension :
Obsolete Body Suspensions Stelarc, publié en 1984 qui reprend les premières expériences de suspension de Stelarc
– le numéro spécial de la revue RE/Search intitulé « Modern Primitives », paru en 1989 qui expose – parmi d’autres explorateurs du corps – le travail de Fakir Musafar.

Nous sommes à quelques années de l’arrivée d’Internet et ces publications révèlent des pratiques alors totalement marginales: les suspensions corporelles réalisées après un percement de la peau et la mise en place de crochets auxquels sont suspendus les participants.
Stelarc
note  2 : Les pratiques décrites ne recourent pas aux mêmes techniques ni ne visent les mêmes finalités. D’un côté Stelarc se situe dans une expérimentation du potentiel du corps humain dans une perspective que nous pourrions qualifier aujourd’hui de post-humaniste. De l’autre, Fakir Musafar revisite les rites des sociétés traditionnelles passant par une mise à l’épreuve du corps, notamment par une atteinte faite à la chair.
note 3 : Dans Obsolete Body Suspensions, Stelarc, Stelios Arcadiou (officiellement renommé Stelarc sur son passeport australien) expose sa théorie du corps obsolète. Il retrace son expérimentation des suspensions, tout d’abord par des cordes et des harnais (de 1971 à 1976) puis par des crochets, à partir de 1976. Le passage du harnais aux crochets s’explique par la différence de sensations. Dans le harnais, le corps est posé. Il est supporté. En revanche, par les crochets, il est suspendu.
L’idée de la suspension consiste à se rapprocher au plus près des conditions de la gravitation. L’insertion de crochets a pour corollaire l’étirement de la peau que Stelarc considère comme un élément nécessaire à l’expérience gravitationnelle : « D’une certaine manière, la peau rend plus authentique la procédure de suspension car vous ressentez ainsi votre corps dans un champ gravitationnel d’1G ». Pour Stelarc, la douleur est un élément de l’expérience, dans la mesure où elle constitue un signal d’alerte naturel pour l’organisme.
note 4 : Dès 1971 au Japon, Stelarc expérimente la question de « l’homme amplifié » à partir d’une exploitation des courbes sonores des muscles, de l’estomac ou du cerveau. En 1975, il prévoit une « performance pour peau étirée » à Adelaide. Stelarc ne peut pas la réaliser car elle est alors jugée « masochiste » et refusée pour des raisons médicales autant que morales. Il s’inspire des techniques des Sadhus en Inde et ne connaît pas encore les rites des Amérindiens des Grandes plaines qu’il découvrira avec le travail de Fakir Musafar.

Stelarc
note 5 : en 1976, à Tokyo, Stelarc réalise sa première « performance pour peau étirée ». Il le fait sans spectateurs. « La peau étirée constitue l’évidence de la position non naturelle du corps dans un champ gravitationnel d’1 G. Le corps est transformé en paysage gravitationnel. » Il enchaîne ensuite de multiples expériences de suspension avec étirement de la peau dans des espaces clos. Puis il va réaliser d’autres performances en plein air dans des arbres, au-dessus de l’Océan ou dans une rue de New-York.
Fakir Musafar

note 6 : Le numéro de RE/Search intitulé « Modern primitives » constitue la seconde référence importante par laquelle les pratiques de suspension vont être présentées aux Occidentaux (notamment aux Etats-Unis puis en Europe). Ce numéro, par sa diffusion auprès de l’avant-garde du piercing française, va contribuer à rendre publiques des pratiques secrètes ou réservées à des groupes de l’underground (communauté gay, sado-masochiste, mais aussi punks…).
Il a un impact sur les acteurs les plus éclairés de la communauté du tatouage et du piercing (notamment Olivier Laize co-fondateur, avec Emma, de Tribal Act, Paris, qui  rencontrera Fakir Musafar dès les années 1990) et popularise des usages jusque là très souterrains (comme les piercings génitaux par exemple). Ce numéro de RE-Search se présente comme une tentative de réponse à une énigme sociale contemporaine : les pratiques d’intervention sur le corps allant d’un engagement approfondi dans le tatouage ou les piercings jusqu’aux pratiques de suspension et de « body play », des jeux avec le corps très invasifs le soumettant à l’épreuve de l’aiguille, des crochets ou du poinçon. (sur le « body play » voir le site de la revue éponyme éditée par Fakir Musafar)

Fakir - Dessin BB Coyotte
note 7 : La première image du numéro de Re/Search présente en pleine page une suspension de Fakir Musafar puis un long article sur ce même Fakir qui se conclut par ses expériences de suspension. Le piercing génital, l’étirement du scrotum ou les jeux avec le pénis (inspirés des Sadhus indiens) sont combinés aux expériences de contention (corsets) ou des rites comme les épées de Shiva qui consistent à porter une parure métallique soutenues par des épées plantées dans la peau. Bref, l’article présente la manière dont Fakir Musafar a expérimenté sur son propre corps la majorité des rites traditionnels soumettant le corps à l’épreuve de la chair.

note 8 : Dans l’article sur Fakir Musafar, deux références anthropologiques sont présentées en matière de suspension. D’une part celles qui ont été observées chez les Sadhus (en Inde) et par ailleurs celles qui avaient cours dans les rites d’initiation des Amérindiens des grandes pleines d’Amérique du Nord. Ces deux références donnent à Fakir Musafar non seulement un prétexte à expérimenter des épreuves corporelles venues des différentes civilisations mais encore une possibilité d’élévation spirituelle. Qu’il s’agisse des pratiques issues des Sadhus ou de celles des cérémonies initiatiques d’Amérique du Nord, Fakir tente d’éprouver des sensations corporelles à partir desquelles il atteint un état altéré de conscience.

note 9 : Depuis ces deux productions, Internet est arrivé. Ce qui relevait d’un échange entre avant-gardes de l’underground corporel s’est largement diffusé, à défaut de se populariser. Des initiatives comme celle de Shannon Larratt (1973-2013) à Toronto de recueillir l’ensemble de ce qui se fait en matière de modifications corporelles et de diffuser sur son site Body Modifications Ezine, plus connu sous son acronyme BME, contribuent à connecter partout dans le monde de nouveaux adeptes, qu’ils soient inspirés des « Primitifs modernes » dans la foulée de Fakir Musafar ou d’une interaction avec les technologies comme l’expérimente Stelarc.
 
note 10 : Le travail de catégorisation des pratiques de jeux corporels éprouvant la chair réalisé par Fakir Musafar permet de classer les suspensions : Chest (poitrine ou « O-kee-pa ») ; Coma ; Knee ; Suicide ; Résurrection ; Crucifix ; Superman ; Autres… constituent autant de manière de se suspendre… et d’éprouver des émotions intenses. Les formes se diversifient à l’occasion des conventions de suspensions. Néanmoins, pour une même forme, la pratique varie selon le contexte et la finalité de la suspension. Deux personnes qui réalisent une suspension « Suicide » (accrochées par deux crochets placés à hauteur des omoplates) semblent réaliser la même chose. Mais elles peuvent vivre des expériences différentes en fonction du contexte dans lequel elles les réalisent et des significations véhiculées par le groupe.
Photo Endorphins Rising, Dijon


note 11 : Ce qui peut sembler surprenant aux observateurs novices, c’est que les pratiques contemporaines de suspension recherchent le bien-être sinon l’extase. A ce titre, elles s’inscrivent dans le cadre de pratiques hédonistes, bien loin des représentations masochistes associées à l’usage de crochets. La seconde génération des adeptes des suspensions s’inscrit dans cette recherche de plaisir.

Des acteurs comme Rolf Buchholz (Allemagne), Aneta et Samppa Von Cyborg, Steve Haworth (USA), Roland et Ralf de Visavajara (Allemagne), Georges de Tribe Hole (Genève), ou encore Lukas Zpira et xEddyx (France) pour n’en citer quelques uns, contribuent à renouveler les formes et les significations de ces pratiques.
Rolf Buchholz, coma suspension
note 12 : Les émotions ressenties lors des suspensions, de Stelarc à Zpira en passant par Aesthetic Meat Front sont de deux ordres : d’une part celles qui sont ressenties par celles et ceux qui s’y livrent et par ailleurs  sur celles et ceux qui regardent.

Louis Fleischauer, Aesthetic Meat Front

Toutes les suspensions ne sont pas destinées à être vues. Néanmoins, qu’elles s’inscrivent dans une performance artistique ou dans un rituel plus intime, chacune d’entre elles contribue à rendre acceptable sinon désirable l’expérience de soi suspendu.
Anthony Green. 2 points suicide, Londres avril 2012




la peau étirée de Rolf Buchholz en gros plan
Cedric, Crucifixion avec masque à gaz, 2011





• James D. Paffrath & Stelarc, Obsolete Body Suspensions Stelarc, Californie, JP Publications, 1984.
• Vivian Vale & Andrea Juno, « Modern Primitives », RE/Search, San Francisco, V/Search, 1989.

mercredi 27 août 2014

Pour en finir avec les avantages faits aux handicapés dans le sport comme ailleurs

Markus Rehm, plus haut, plus loin plus fort... trop loin?

Offrir des compensations, permettre des adaptations, relève d'une valeur profondément humaine, la solidarité. Toutes les sociétés ont construit et construisent des solidarités grâce auxquelles les plus faibles d'un groupe peuvent survivre, les plus vulnérables sont pris en charge par le groupe d'une manière ou d'une autre. Associée au principe d'égalité (qui n'est pas un principe premier dans toutes les sociétés) la solidarité nécessite la mise en place de dispositifs d'aide, d'accompagnement, d'assistance, d'adaptation permettant à toutes les personnes concernées d'accéder à l'éducation, au loisir, à l'emploi, au logement... bref, à une vie digne et sans discriminations.
Et pourtant...
Et pourtant d'autres valeurs viennent mettre en tension ces principes d'égalité et de solidarité: la performance, la concurence, la compétition (dès lors que ces pratiques sont érigées en valeurs).

Dans ce cadre là, les personnes handicapées agacent pour les avantages dont elles bénéficient.

Par exemple: les personnes à mobilité réduite ont à leur disposition des places de stationnement aux endroits les plus prisés des automobilistes en quête de place. Ces places bleues – vides le plus souvent alors qu'il est "impossible de se garer" — agacent certaines personnes non encore handicapées qui doivent se garer loin et marcher (puisqu'elles le peuvent) pour se rendre là où une personne handicapée peut stationner son véhicule sans le moindre délai (sauf quand parfois une personne non encore handicapée a pris la place parce qu'elle "en avait juste pour cinq minutes"). Le rapport au temps vient donc ternir cette solidarité sociale (marquée par la loi et le code de la route) qui, si elle n'était pas réglementée, serait mise à mal par les égoïsmes individuels ordinaires.

Anecdote: un jour que je faisais remarquer à une personne s'étant garée avec son fils sur une telle place pour aller au cinéma qu'elle avait dû se garer là par erreur, elle me répond très agressivement qu'elle "travaillait" avec des handicapés, ce qui, en conséquence et selon le principe de solidarité, lui permettait à son tour d'utiliser ce type d'adaptation. CQFD

Mais il est d'autres espaces où les adaptations proposées aux personnes handicapées posent problème: tous ceux où la compétition inter-individuelle règne.
Bien sûr, le monde de l'entreprise. Les emplois dits "protégés" dans un espace concurrentiel ne vont pas sans générer ressentiment, jalousie, envie...
Le monde scolaire également où, selon le type de handicap, les adaptations sont plus ou moins acceptées. Si personne ne voit à redire à ce que des rampes d'accès ou des ascenseurs soient créés pour permettre à tout élève en fauteuil d'accéder aux étages, l'usage des ordinateurs pour les élèves possédant des troubles des apprentissages ne va, par exemple, pas sans poser de problèmes.

Anecdote: Contrôle commun en classe de première. Une élève scolarisée avec un ordinateur (compensation indispensable compte tenu de son handicap) doit justifier son usage auprès de l'enseignant surveillant l'épreuve (un professeur d'éducation physique). Celui-ci, plusieurs fois au cours de l'épreuve vient parler à cet élève (et à cet élève seulement) en lui faisant des remarques sur la justice (du style "C'est ça la justice"). La justice, pour cet enseignant serait-elle que les élèves paraplégiques rampent jusqu'à leurs salles (pour les tétraplégiques l'affaire se corse), que les élèves non-voyants découvrent le sujet d'examen "comme les autres" dactylographié sur une feuille qu'ils ne peuvent pas lire? L'adaptation visant la compensation d'un handicap est ici perçue comme une injustice dans le cadre du système d'évaluation parce qu'elle bouscule les habitudes qui font que "tout le monde doit être soumis à la même règle".

Enfin, le monde des sports.
Après Oscar Pistorius, Markus Rehm vient rappeler que le principe de solidarité ne vaut qu'associé à l'inégalité de traitement. Pour l'un (voir ici) comme pour l'autre l'amputation produit cette curieuse argumentation selon laquelle le port d'une prothèse apporterait un avantage sur des athlètes valides. Certes, les qualités mécaniques des lames de carbone qui servent de prothèse sont indéniables. Mais au lieu de se réjouir de l'arrivée de personnes différentes ayant pu compenser leur handicap grâce à un entraînement intense leur permettant d'accéder à l'excellence sportive, des voix s'élèvent pour dénoncer un avantage injuste (bien que ponctuel, limité et largement pondéré par les désavantages liés à la prothèse elle-même). Être handicapé et appareillé est injuste... pour les valides.
Le règlement sportif est convoqué ("que voulez-vous, c'est la loi du sport") pour rejeter la participation de ces sportifs handicapés (notamment la Règle 144.3.c des compétitions de la Fédération internationale d'Athlétisme: «devra être considérée comme une aide et par conséquent ne sera pas autorisée: (à l’exception des chaussures conformes) l’utilisation de toute technologie ou dispositif ayant pour effet d’apporter à l’utilisateur un avantage qu’il n’aurait pas eu en utilisant l’équipement spécifié dans les Règles.»
Bref pour que la compétition soit équitable, courez sur vos moignons!

vendredi 15 août 2014

Mahiedine Mekhissi le Petit prince

Mahiedine Mekhissi-Benabbad vient de retirer son maillot
Malgré une large victoire il va être disqualifié
Depuis hier soir, la disqualification de Mahiedine Mekhissi – alors qu'il avait largement gagné la finale du championnat d'Europe du 3000 m steeple - fait beaucoup parler.
Ghani Yalouz, le Directeur Technique National qualifie cette décision de lamentable et critique le caractère antisportif de la réclamation déposée par l'équipe espagnole, à l'origine de la disqualification.
Il devrait pourtant savoir deux choses:
d'une part, en sport plus qu'ailleurs, "La consigne, c'est la consigne" et par ailleurs, ce qui compte c'est de rapporter le plus grand nombre de médailles d'un événement international, tout en respectant le règlement. La réclamation déposée par les Espagnols s'inscrit dans le pragmatisme de toute compétition internationale.
Par ailleurs, selon l'institution athlétique, c'est Mahiedine Mekhissi qui a fait preuve "d'esprit anti-sportif" puisqu'il a pris un avertissement donné par un commissaire de course au moment même de son arrivée.
L'esprit anti-sportif, c'est ne pas respecter l'orthodoxie sportive, c'est refuser de respecter l'éthique sportive, qui est une éthique de la soumission.
Que voulez-vous, c'est la loi du sport: La consigne, c'est la consigne.

Il n'y a qu'à se rappeler la disqualification de Yohan Diniz aux Jeux olympiques pour avoir bu de l'eau en dehors de la zone de ravitaillement autorisée. (Voir Yohan Diniz, l'incompréhension)
Il n'y a qu'à se rappeler la finale 1991 du cinquante kilomètre marche où les deux coureurs russes Aleksandr Potashov et Andrey Perlov finissent bras-dessus bras-desous, dans le même temps de  3h53'09 " et sont départagés au millième de seconde (voir la vidéo de cette arrivée).
C'est la Highlander philosophie du sport ("Il ne peut en rester qu'un"). 

Mahiedine Mekhissi est comme le Petit Prince face à un monde absurde, celui de la règlementation de l'athlétisme.
Comme le dit l'allumeur de révèrbère au Petit Prince, "il n'y a rien à comprendre [...] La consigne c'est la consigne. Bonjour."

mercredi 9 juillet 2014

Le spectacle des larmes brésiliennes

Le Brésil pleure, c'est Google qui le dit...

Décidément, les larmes dans le football sont de saison. Après celles de "coach Vahid" et l'élimination de l'Algérie par l'Allemagne, celles des Brésiliennes et des Brésiliens, éliminés à leur tour par l'Allemagne.

Le match Brésil-Allemagne fut un beau spectacle, en raison de son déroulement, de son résultat (7 à 1 pour l'Allemagne)  et de son contexte... Le déroulement (avec un premier but très rapide, puis une succession de quatre buts en six minutes portent le score à 5 à 0 pour l'Allemagne à la mi-temps) construit un scénario grâce auquel le spectacle va pouvoir gagner en intensité. Le match est plié du point de vue sportif. Mais au plan émotionnel, il prend toute son épaisseur. Les commentateurs se centrent sur le regard perdu des joueurs brésiliens après chaque but. Les caméras captent dans le stade les images des pleurs d'enfants, de femmes, d'hommes...
Le spectacle n'est plus un spectacle sportif mais un spectacle de l'émotion brute qui dépasse l'émotion habituelle des rires (chez les vainqueurs) et des pleurs (chez les perdants) dont j'avais parlé il y a quelques années à propos du match... France-Brésil de 1998 (Les uns contre les autres, Le Courrier de l'UNESCO, avril 1999).

Le contexte y est pour quelque chose également. Les commentaires d'avant-match – chargés dans la presse de construire l'importance de l'événement – n'ont cessé de mettre en avant la communion d'un peuple avec son équipe, la solidarité sans faille de ce peuple avec les quelques mercenaires (salariés en Europe pour la majorité d'entre eux) qui le représentent. Ils n'ont cessé de souligner la fête nationale que représenterait une qualification du Brésil pour une finale, sur ses propres terres. Baptisé le pays du football (ce qui n'a aucun sens mais une portée symbolique indéniable), le Brésil donnerait à voir une union sans faille derrière son équipe...

... à condition que cette équipe gagne, ce que les commentateurs ont oublié un peu tôt, pour se rappeler le matin suivant qu'une grande partie de la population s'est opposée à l'organisation de la Coupe du Monde, pour se rappeler que le désir d'écoles, d'universités, d'hôpitaux, de transports... d'emplois était bien supérieur à celui qui consiste à ajouter une étoile sur le maillot national.

Peu importe. Le spectacle des larmes est là. Celui de la stupeur, de l'incrédulité aussi. Les visages atterrés, aux yeux mouillés, les regards hagards... tissent la toile du spectacle durant le match, dans les minutes qui suivent le match... et dans les compte-rendu d'après-match, au point même de fournir aux organes de presse des articles basés sur le simple recueil de ces images là. Ainsi le site du Nouvel obs propose un diaporama des "larmes de l'humiliation"; TF1 en ligne, après une pub imposée d'une minute, permet d'accéder à un florilège  des "larmes des Brésiliens sur le web", tout comme le Figaro qui titre "Le Brésil baigne dans les larmes"... et même Le Monde qui revient en images sur "la soirée cauchemar du Brésil face à l'Allemagne"avec un diaporama qui commence par les larmes du défenseur David Luiz.

Bref, les larmes font vendre.
Elles sont au centre du processus médiatique.

Au lendemain du match, l'intensité émotionnelle peut d'ailleurs se quantifier. A partir des titres de la presse, on vient de le voir, à partir des 35 millions de tweets échangés dans le monde à propos du match, à partir des commentaires sur Facebook. A partir également de ce que Google met en avant lorsqu'on tape simplement "Brésil" dans le moteur de recherche (photo ci-dessus)

Ce matin, au lendemain de ce match, les chaines d'information, les radios accordent un large part à l'événement. Le Brésil pleure. Mais que pleurent ces femmes, ces enfants, ces hommes? Sur qui ou sur quoi pleurent-ils?

Au moment de boucler ce papier, je ne peux m'empêcher de penser à d'autres visages terrorisés, pleins de larmes, montrés ce matin même sur ces mêmes chaînes d'information qui reviennent en boucle sur les larmes brésiliennes: celui de femmes et d'hommes ayant subi les bombardements israéliens en représailles des roquettes tirées par le Hamas. Mais ceci est une autre histoire.

Photo extraite de 20 minutes du 9 juillet 2014

Gaza jour 21: Dix Palestiniens tués dans le bombardement d'une maison...



mardi 1 juillet 2014

Les vrais hommes le foot et les larmes

Vahid pleure mais c'est un vrai homme
"Pleure pas, t'es pas une fille".
Tout le monde connait l'expression.
Le devenir homme passe par l'apprentissage de la maîtrise de ses émotions, notamment publiquement.
Le football renverse la donne.
Les footballeurs sont des hommes qui pleurent... et qui pleurent d'émotion, tout comme se sont des hommes douillets qui se jettent (voire se roulent) au sol en grimaçant quand on leur caresse la jambe, ce qui, soit dit en pensant, ne viendrait à l'idée d'aucune "vraie fille".

Un tweet a attiré mon attention ce matin. Il porte le hashtag #VahidOnTaime. Vahid est le prénom de l'entraîneur Halilhodzic de l'équipe de football d'Algérie dont les joueurs sont surnommés les Fennecs, en référence au renard du désert.
Ce qui m'a marqué, ce ne sont pas les pleurs de Vahid, mais le commentaire qui l'accompagne "C'est un vrai homme".

#VahidOnTaime, C'est un vrai homme

En voilà un commentaire.
Un qui va à l'encontre de toutes les idées reçues:
Les vrais hommes peuvent pleurer.
Certes, ce tweet est isolé, du moins dans sa formulation. Cependant, si l'on suit la balise #VahidOnTaime sur twitter, on ne peut que constater que les larmes de "Coach Vahid" sont largement commentées, dans le sens d'une valorisation de son engagement pour l'équipe et, au-delà, pour l'Algérie, tout comme le sont les larmes des joueurs de l'équipe (voir ci-dessous la série de captures d'écran).
Ces larmes, ces pleurs, attestent de l'émotion vécue par une élimination en raison de l'attachement à l'Algérie.
Ces pleurs, ces larmes de défaites sont analysés comme la marque de l'engagement pour la nation algérienne.
Ce sont des larmes de tristesse, mais des marques nationalistes, au sens où il existe un nationalisme sportif ("Nationalismes sportifs", Quasimodo, n° 3-4, 1997 où l'on peut lire notamment un article de Youssef Fatès, "Les marqueurs du nationalisme: les clubs sportifs musulmans dans l'Algérie coloniale").
Il y a huit ans, en 2006, un autre footballeur avait été considéré comme un vrai homme. Du moins cet argument faisait partie des commentaires visant à justifier son comportement. Ce footballeur jouait pour l'équipe de France une finale de coupe du monde. A l'époque, il frappa un adversaire d'un coup de tête avant d'être expulsé. Le vrai homme, c'était lui... " que voulez-vous, c'est un homme"...

Finalement, un vrai homme n'a pas vocation à être violent.
Un vrai homme est aussi celui qui pleure, quand il a tout fait... et qu'il a tout perdu.

Ci-dessous quelques illustrations:
D'abord la page d'accueil de Google quand on tape aujourd'hui 1er juillet 2014 Vahid Halilhodzic. La première actualité qui s'affiche est "Les larmes de Vahid Halilodzic". Sans doute ces larmes sont-elles aussi remarquées que "Coach Vahid" (comme il était appelé lorsqu'il entraînait le Paris-Saint-Germain ou Lille) est réputé être quelqu'un de dur, de sévère, d'intraitable dans son métier d'entraîneur. D'ailleurs, l'article du Parisien qui rapporte la vidéo des larmes de Vahid commence ainsi: "Coach Vahid a fendu l'armure"
Ce sont ses larmes qui font la une. Celles d'un homme dont on aurait pu oublier qu'il en était un tant il était rigoureux et tourné vers la réussite de son équipe.
les larmes de Vahid Halilhodzic

Ci-après, une série de captures d'écran sur twitter avec la balise #VahidOnTaime









lundi 6 janvier 2014

Un coeur d'occasion sur la main


Mon voisin fatigué vit encore.
Sa bonté est connue de tout le quartier.
Sa générosité conduit à lui celles et ceux qui ont besoin de chaleur, de sourire, de paroles ou de pain.
On dit qu'il a le coeur sur la main.
On n'imagine pas qu'il s'agit d'un coeur d'occasion.
C'est une bonne occasion, une première main qui a peu servi.
On en a beaucoup parlé de ce coeur, avant qu'il ne soit d'occase. Bien avant qu'il ne batte dans le corps de mon voisin, il fut le premier coeur artificiel implanté sur un patient vivant.

C'était en 2013.

A l'époque, les coeurs artificiels n'étaient pas encore commercialisés. A propos de celui-ci, on a parlé d'une réussite "made in France", d'un implant révolutionnaire, d'une prouesse technique...  Finalement, on a peu parlé de son premier propriétaire, sinon pour dire que l'opération s'était déroulée correctement, qu'après deux jours il se portait bien et qu'après 19 jours encore, le patient allait "aussi bien que possible [...] Malgré une pathologie assez lourde, il donn[ait] satisfaction aux équipes médicales et post-opératoires".

On sait donc que le coeur était fonctionnel et qu'il a prolongé la vie de celui qui a reçu dans sa cage thoracique cette pompe de matériaux biosynthétiques micro poreux.
On ne sait pas en revanche si le coeur se serrait à l'évocation d'un ancien amour ou à la vue des proches.
Les médecins n'ont rien dit sur les qualités de coeur de ce nouveau coeur.

Le porteur était bien portant. Puis il s'est éteint, comme tous les êtres de chair de son époque, aussi appareillés soient-ils.
Pour la première fois, le coeur a résisté au patient.
A sa mort, le coeur a été restitué à l'entreprise qui, après avoir oeuvré à la création et à l'implantation du premier coeur artificiel, a – fort logiquement – créé une filiale spécialisée dans la commercialisation de coeurs d'occasion.

Et au prix de la pièce neuve...

Qu'une personne comme mon voisin ait pu en profiter, c'est tout de même quelque chose.
Lui qui a si bon coeur.

Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...